Relation NBA/Chine, c’est compliqué… Le tweet de la discorde.

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AUTEURS

Simon RENAULT

Simon RENAULT

Avocat à la Cour et Mandataire Sportif

Morgan PALMA

Morgan PALMA

Consultant, Entrepreneur et Juriste

04 octobre 2019, twitter.

Daryl Morey, General Manager du club NBA des Houston Rockets vient de commettre l’irréparable en apportant son soutien aux manifestants pro-démocrates de Hong Kong et va provoquer malgré lui, une crise diplomatique majeure et inédite entre la NBA et la Chine. Le potentiel dénouement ? … un cataclysme économique à l’intérieur même de la ligue nord américaine de basket-ball.

« Battez-vous pour la liberté, debout pour Hong Kong ».

Compte Twitter de Daryl Morey

Ce tweet a fait l’effet d’une bombe pour le gouvernement chinois, principal partenaire commercial de la NBA qui a très peu apprécié le soutien américain aux manifestants, perçu comme une ingérence étrangère dans sa politique intérieure.

Pire, ce tweet a été emporté dans l’animosité croissante d’une guerre commerciale qui dure depuis plusieurs mois entre Pékin et Washington.

Pour rappel, Hong Kong est un territoire indépendant situé au sud-est de la Chine qui connait depuis 4 mois une crise politique majeure l’opposant au Gouvernement chinois. Ce dernier manifeste des velléités expansionnistes sur l’île, le Premier Ministre chinois, rappelant que l’option militaire demeurait sur la table pour imposer le contrôle de ce territoire.

Le tweet de Daryl Morey ne pouvait pas mieux tomber alors que son équipe, les Rockets, comme les Brooklyn Nets, les Toronto Raptors et les Los Angeles Lakers se trouvaient en Asie pour une tournée promotionnelle de pré-saison.

Dire que Pékin a peu apprécié le message serait un euphémisme tant le gouvernement chinois a riposté de manière particulièrement spectaculaire.

Dans les faits, c’est la principale vitrine annuelle de la NBA qui a volé en éclats.

En représailles, le Gouvernement chinois a unilatéralement décidé, de déprogrammer la retransmission des matchs sur toute les chaines hertziennes et numériques du pays, d’annuler toutes interviews de joueurs américains, de retirer les publicités NBA de ses buildings d’affaires, d’ordonner à l’ensemble des Nike Store présents sur son territoire de retirer de la vente tout produit dérivé relatif aux Rockets, et a ordonné aux entreprises dont l’Etat est au capital de rompre les relations commerciales avec la NBA. Rien que ça…

Exit donc Changhong Electric (production d’appareils électriques), Migu (forfaits téléphoniques), Master Kong (restaurants), eHi Car Services (location de voitures), Meiling (production d’appareils électroménagers), Xiaoying Technology (finances), Dongfeng Nissan (fabrication automobile), Luckin Coffee (cafés), Vivo (production de smartphones), Tencent (services internet et mobile), Shanghai Pudong Development Bank (banque), Anta et Li Ning (équipementiers).

La franchise des Rockets n’est pas en reste, la SPDB, banque de Shanghai, a coupé ses liens promotionnels et la ligue chinoise de basket a suspendu toute collaboration en attendant des excuses publiques du Comissionner de la NBA, Adam Silver ou la démission de Daryl Morey.

Les excuses publiques de la star de l’équipe des Rockets, James Harden, n’ont pas suffit. Voici pour l’ampleur de la catastrophe au Day 10 du tweet.

Après le tweet, le déluge ?

Pourtant tout avait si bien commencé.

Aux yeux de la NBA, la Chine a toujours représenté un eldorado économique de premier plan et n’a eu de cesse, depuis les années 2000, de tenter de séduire le public chinois.

Souvenez vous, en juin 2002, Yao Ming, géant chinois de 2,29 mètres est drafté en 1ère position par … les Houston Rockets.

Cette sélection d’un joueur chinois, qui plus est en première position de la Draft fut considérée comme une ouverture magistrale du sport américain vers le marché chinois.

Sans obtenir de réels succès avec son club de Houston, Yao Ming, deviendra néanmoins multiple All-Star (dont la sélection a d’ailleurs été ouverte au vote des internautes chinois…) et recevra la distinction d’être nommé porte drapeau de la délégation chinoise aux JO de Pékin en 2008.

Paradoxalement dans la crise actuelle, il devient le principal atout de la NBA en sa qualité de directeur de la Ligue chinoise de basket (CBA)…

Dès lors, demeure la question de savoir à quel point cette crise diplomatique peut-elle impacter la NBA ?

Une progression freinée ?

Plusieurs données permettent de comprendre l’ampleur économique du sujet.

Le marché chinois correspond à 10% des recettes globales de la NBA en 2017 qui a produit un chiffre d’affaires de 7,4 milliards de dollars cette année là.

En 2017-2018, 640 millions de personnes en Chine ont regardé des images de la saison NBA.

Par comparaison, cette saison-là, la Finale NBA n’a été vue, en moyenne, que par 17,7 millions d’Américains.

La NBA a récemment reconduit pour 5 ans, jusqu’en 2025, un accord de diffusion en streaming avec le géant chinois Tencent, qui porterait sur 1,5 milliard de dollars au total, selon le Wall Street Journal.

Voila pour les chiffres, mais poussons le raisonnement plus loin, que se passerait-il si la percée de la NBA sur le marché chinois venait à être stoppée ?

Mécaniquement, et dans l’hypothèse d’une telle perte de revenus, le salary cap, c’est à dire le plafond salarial en vigueur annuellement dans chaque équipe NBA sera rabaissé alors qu’il est en constante augmentation depuis plusieurs années.

Aujourd’hui fixé à 109 millions de dollars, le salary cap devrait atteindre 116 millions de dollars pour la saison 2020.2021.

Sauf qu’au regard de la situation, il n’est pas impossible que la Ligue révise sa position et la tendance actuelle porterait vers une baisse potentielle de 10 à 15% du salary cap.

Un tweet qui peut impacter les relations contractuelles joueurs/propriétaires

D’autre part, dans l’éventualité d’une baisse du salary cap, couplée à un maintien du salaire de joueurs, la majorité des équipes NBA se retrouveraient de facto dans le rouge, c’est à dire au dessus de la limite salariale imposée par la Ligue.

Dans un tel cas de figure, les équipes se verraient dans l’obligation de verser à la Ligue une taxe, appelée luxury tax qui vient sanctionner les équipes dépassant le plafond salarial.

La sanction pouvant atteindre 3,25 dollars pour chaque dollar dépensé au dessus de la limite.

Pire encore, l’échelle de salaires serait fortement impactée pour les joueurs actuellement en fin de contrat et à la recherche d’un renouvellement ou d’une signature plus lucrative dans un autre club.

Enfin, les top joueurs éligibles à un contrat maximum verraient leurs émoluments potentiellement baisser.

Cette crainte peut affecter les joueurs vedettes qui pourraient légitimement se questionner sur le devenir des relations NBA/Chine. L’impact concernerait les ventes de leurs chaussures signatures mais aussi le devenir de leurs visites estivales promotionnelles en Asie. De nombreuses sources de revenus en moins pour les Stephen Curry, LeBron James ou le Rocket James Harden.

Outre les superstars, des joueurs de premier ordre comme Klay Thompson, CJ McCollum, Gordon Hayward, Lou Williams, Rajon Rondo, ou de deuxième ordre comme Evan Turner, Matthew Dellavedova, Kevon Looney, tous sous contrat avec des marques chinoises pourraient, à terme, en ressentir également les conséquences.

Le sport instrument de soft war

A l’heure actuelle, l’incendie apparait maitrisé en raison de la maturité du marché chinois, totalement « NBA-compatible » et irrigué par les exploits des joueurs américains depuis les années 2000.

Faut-il rappeler que le basket est le sport numéro 1 en Chine où chaque match du championnat nord-américain est suivi avec ferveur, cette tendance ne devrait donc pas se renverser.

D’autant qu’en parallèle, les autorités chinoises paraissaient craindre que la raideur de leur posture ne porte atteinte à l’image du pays avant les Jeux olympiques d’hiver de 2022.

Surtout, la NBA bénéficie d’un double atout indéniable.
D’une part, à la différence du football, elle n’est en concurrence avec aucune autre

fédération, la NBA reste et demeure l’élite du basket mondial sans comparaison possible.

En matière de football, autre sport très populaire en Chine, les fans locaux ont l’embarras du choix entre les pays européens alors que la NBA n’a aucun équivalent au monde en matière de qualité de jeu, de spectacle et de merchandising.

Preuve de sa popularité, la NBA compte près de 42 millions d’abonnés sur le réseau social chinois Weibo. Les Golden State Warriors, franchise nord-américaine la plus populaire, en dispose de 8,5 millions.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’Adam Silver, commissaire de la NBA ait refusé, au plus fort de la tempête médiatique, de présenter ses excuses au gouvernement chinois et ait préféré défendre la liberté d’expression de son compatriote américain.

D’autre part, la NBA a déjà le regard tourné vers le sud de l’Asie, précisément en Inde.

Avec quasiment 1,4 milliard d’habitants, l’Inde apparait comme une ressource exceptionnelle en fan base potentielle. 

C’est la raison pour laquelle, les 4 et 5 octobre 2019 dernier, deux matchs de pré-saison ont eu lieu pour la première fois sur le sol indien et ont opposé les Indiana Pacers aux Sacramento Kings au MSCI Dome de Mumbai.

Elément intéressant, la NBA a pu compter sur l’appui de Monsieur Vivek Ranadivé, américano-indien, et propriétaire de l’équipe NBA des Sacramento Kings.

Enfin, rappelons qu’en mai 2017, la NBA a lancé son Académie en Inde dans le cadre de son programme NBA Academy and Basketball Without Borders qui permet de recenser les meilleurs talents du pays chaque année, et d’attirer certains, à terme, vers la Draft de la Grande Ligue.

Il y a donc fort à parier que le prochain Yao Ming sera indien…

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