Nouvelles pratiques contractuelles sur le marché des transferts : Le cas Neymar Jr

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AUTEURS

Simon RENAULT

Simon RENAULT

Avocat à la Cour et Mandataire Sportif

Morgan PALMA

Morgan PALMA

Consultant, Entrepreneur et Juriste

Eté 2017 : le brésilien Neymar Jr est transféré du FC Barcelone au Paris Saint Germain pour le montant record de 222 millions d’euros équivalent de la clause libératoire du joueur. Ce transfert mit fin à une séquence médiatique intense durant laquelle le joueur avait ouvertement demandé à rallier l’hexagone.

Aujourd’hui, alors que Neymar Jr pourrait revenir vers son ancien club, quelques observations sont à faire quant aux divers mécanismes contractuels à l’oeuvre.

Du FC Barcelone au PSG : Saisir les opportunités contractuelles

Le joueur acteur de son départ

Sur le plan juridique la clause libératoire (dite « clause de rachat ») est insérée dans le contrat de travail du joueur, et fixe par avance le montant dû en cas de rupture anticipée de la relation contractuelle. L’objectif étant à la fois d’assurer le respect des engagements pris par le joueur pour la durée restante du contrat et d’offrir au club comme au joueur la possibilité de rompre unilatéralement le contrat moyennant une somme prédéfinie. Autrement dit, « prévoir l’évaluation monétaire d’un préjudice futur » (1), celui de perte d’un joueur de sa qualité.

Précisons ici que le principe de la clause libératoire réside dans son montant prohibitif ayant un effet dissuasif vis-à-vis des autres clubs. Écartant de ce fait toute offre de nature anecdotique ou insuffisante. Ce détachement entre la valeur marchande du joueur et sa valeur « contractuelle », celle de la clause, pourra en effrayer plus d’un.

En ce sens, la clause libératoire du portugais Cristiano Ronaldo a été arrêtée par le Real Madrid à la somme de 1 milliard d’euros. Finalement, une indemnité de transfert de 100 millions d’euros fut versée par la Juventus Turin à l’été 2018.

Selon les termes du contrat de travail signé avec le FC Barcelone en 2013, la clause libératoire de Neymar Jr était forfaitairement plafonnée à 222 millions d’euros pour 2017 et devait atteindre 250 millions d’euros en 2018. Un montant de nature historique en cas de transfert, mais sa réalisation n’était pas impossible…

Il y a tout lieu de penser que le montant de la clause libératoire, qui demeure soumise à des négociations préalables, a fait l’objet de prétentions à la baisse de la part du joueur lors de son arrivée au FC Barcelone. Soucieux de se faciliter un potentiel départ. Cette volonté était- elle personnelle, ou imposée par son entourage désireux d’être en mesure de saisir toute opportunité financière de nature exceptionnelle pouvant se présenter.

En juin 2017, Neymar Jr résilie son contrat et indemnise le FC Barcelone employeur, de la somme contractuellement arrêtée par eux. Somme versée personnellement par le joueur, mais en réalité entièrement prise en charge par le club « acheteur », le Paris Saint Germain.

Fausse victime et vrai stratège

L’intégration par le FC Barcelone d’une telle clause dans le contrat d’un joueur hautement convoité au niveau international constituerait donc un « impair ». D’autant plus, qu’il est de notoriété publique que les plus grands clubs européens sont en mesure de proposer une telle somme. Les nouvelles sources de revenus marketing et publicitaires ayant fait exploser la rentabilité des opérations sur le top 5 mondial des joueurs.

Cependant, il faut remarquer que la loi espagnole (précisément le décret royal n° 1006/1985) oblige les clubs professionnels à insérer dans leurs contrats de travail des clauses résolutoires chiffrées. À défaut, l’estimation de leur montant pourrait être effectuée par un juge saisi pour l’occasion… une incertitude quant à cette évaluation que les dirigeants du FC Barcelone ont sans doute eu la volonté d’écarter. Un levier de négociation supplémentaire que le « clan » Neymar ne s’est pas privé d’utiliser.

Les dirigeants du FC Barcelone ont d’ailleurs avoué leur parfaite conscience de cette possibilité de départ peu de temps après le transfert : « Nous avions anticipé qu’il pourrait partir, c’est pourquoi nous avons augmenté sa clause de cession dans le nouveau contrat. S’il était resté, nous aurions gardé un bon joueur. En partant, il était obligé de payer la clause et nous aurions eu la garantie de pouvoir faire venir de nouveaux joueurs » (2).

Nous subissons toujours les conséquences de nos propres règles…

Nouvelles agressivités sur le marché des transferts

” Il n’a jamais existé de « pacte de non- aggression » entre clubs professionnels “

Le départ de Neymar Jr a conduit l’équipe dirigeante du FC Barcelone vers une communication mélodramatique accusant le PSG de comportement « aggressif » pour avoir illégalement versé au joueur la somme idoine permettant son transfert.

Or, il n’a jamais existé de « pacte de non-aggression » entre clubs professionnels. La loi du Marché, de l’offre et de la demande s’y applique. À quelques rares exceptions près… nous pensons aux relations entretenues entre clubs d’une même ville (Real Madrid-Atlético Madrid ou Inter Milan-Milan AC) témoignant plus d’une volonté de maintien de l’ordre public local que de l’existence de véritables principes moraux.

Avant toute chose, rappelons ici que la FIFA classe les différentes rupture des relations de travail en trois types :

  • la rupture du contrat pour « cause juste »,
  • la rupture du contrat pour « cause sportive »,
  • la rupture de contrat « sans juste cause ».

Le cas de Neymar Jr correspond à une rupture du contrat « sans cause juste ». Cela a d’ailleurs été indiqué par le club Catalan dans son communiqué du 3 août 2017 (3). La FIFA pouvait-elle sanctionner le PSG sur la base d’une telle rupture ?

L’article 17 du règlement des Statuts et des Transferts prévoit comme sanction le paiement solidaire et conjoint, du joueur et de son futur club, de l’indemnité de résiliation du contrat dans le cas d’une rupture de contrat sans juste cause.

Cette « solidarité » était en pratique sans conséquences pour les parties prenantes puisque, en lui offrant la capacité financière de résilier son contrat de travail, le PSG s’est spontanément comporté en débiteur solidaire et conjoint de l’obligation d’indemniser le FC Barcelone.

À noter que le joueur pouvait également être sanctionné par la FIFA sur la base de l’article 17.3 du Règlement qui prévoit « une suspension de quatre mois pour les matches officiels, augmentée à six mois en cas de circonstances aggravantes » pour le joueur ayant fait l’objet de cette rupture sans juste cause.

Une législation française stricte

En France, toute clause de rupture anticipée du contrat de travail d’un sportif ou entraineur professionnel « sont nulles et de nul effet » selon l’article L. 222-2-7 du Code du sport.

Une précision est apportée par l’article 220 du règlement de la Ligue Professionnelle de Football (LFP) qui interdit de conclure « (…) un contrat contenant une “clause libératoire”, prévoyant avant terme, en contrepartie d’une indemnité, la rupture de la relation contractuelle par l’un ou l’autre des cocontractants (…) »,

En appliquant une telle interdiction, la LFP ne fait finalement que respecter la loi française : l’article L. 1243-1 du Code du travail n’autorise une rupture anticipée des contrats de travail à durée déterminée que dans des cas limitativement énumérés : l’accord des parties, la faute grave, la force majeure.

Sur ce fondement, la LFP refuse d’homologuer tout contrat de travail qui lui serait soumis si celui-ci est pourvu d’une clause libératoire.

Une question demeure, le PSG a t’il pu contourner la législation française ?

Dans le cas du PSG, le contrat de travail signé par Neymar Jr comporterait une telle clause, il contreviendrait donc aux règles régissant le droit du travail et n’aurait pour unique vocation que de contourner la réglementation de la LFP, son caractère frauduleux pourrait être aisément démontré et la clause libératoire déclarée nulle.

La solution actuellement utilisée par les clubs est de « signer des conventions sous seing privé, non soumises à validation de la LFP, avec un accord sur une indemnité de départ » selon Me Thierry Granturco, avocat spécialiste en droit du sport (4).

Tour Eiffel, Paris

Le transfert du PSG au FC Barcelone : un blocage multi-contractuel

A l’heure d’écrire ces lignes, Neymar Jr est toujours joueur du PSG. Son départ en Catalogne est conditionné à la résolution de nombreuses problématiques d’ingénierie contractuelle.

Neymar Jr, ambassadeur de marque

Suivi par près de 209 millions de personnes sur ses comptes Facebook, Twitter et Instagram, Neymar Jr est une star planétaire sous contrat avec une multitude de sponsors : Nike, Electronics Arts, Beats By Dr Dre, Gilette, Red Bull, etc… Parmi eux, la Qatar National Bank (QNB), elle même détenue à 50 % par le fonds souverain Qatar Investment Authority, propriétaire du PSG…

Ici, employeur et salarié partagent le même sponsor. D’autant plus que le groupe QNB est titulaire des droits marketing liés à l’image du joueur. Neymar Jr se retrouve donc contractuellement lié au PSG à un double niveau : par son contrat de travail et par son contrat de sponsoring. La QNB aura la possibilité de maintenir le partenariat commercial à condition que le FC Barcelone et ses sponsors officiels ne s’y opposent pas, et que des compensations puissent être éventuellement accordées.

Neymar Jr, bouche et pieds liés au PSG

Comme il vient d’être rappelé, si retour en Catalogne il devait avoir, celui-ci prendrait la forme d’un transfert du fait de l’absence théorique de clause libératoire dans le contrat de travail de Neymar Jr.

Dès lors, quels sont les outils juridiques à la disposition de Neymar Jr pour forcer son transfert ? En l’espèce, aucun.

À titre liminaire, le joueur doit se mettre à la disposition de son club et faire preuve de loyauté dans sa relation de travail selon l’article L. 1222-1 du Code du travail : sur ces fondements, il n’existe aucune possibilité de forcer un transfert sans violer ces obligations. Rappelons ici que le joueur est lié contractuellement avec le PSG jusqu’en juin 2022.

Le spectre des obligations à la charge du joueur professionnel ne cesse d’être précisé par la jurisprudence, s’étalant de son comportement jusqu’à son corps. Comme en attestent deux décisions de justice récentes :

  • Concernant le comportement du joueur, interdiction lui est faite de dénigrer dans la presse ou sur les réseaux sociaux son club pendant toute la durée du contrat sous peine d’être poursuivi pour faute grave (5). Rappelons que le PSG a récemment décidé de faire signer à l’ensemble de ses joueurs un règlement intérieur leur interdisant de réaliser une sortie médiatique sans information préalable.
  • Concernant le corps du joueur, celui-ci demeure dans l’obligation de mettre en oeuvre l’ensemble des moyens nécessaires pour accélérer son processus de guérison, ne pouvant ainsi refuser de s’entretenir ou se soumettre pendant son arrêt maladie au protocole de soin destiné à lui permettre de recouvrer son potentiel physique (6).

Neymar Jr demeure donc sous l’autorité du PSG qui se place en position de force aussi bien vis-à-vis du joueur objet des pourparlers que du FC Barcelone.

Valorisation en baisse et blessure

D’une part, le joueur a subi une perte de valorisation de sa valeur marchande. Celle-ci stagne à la somme de 180 M€ depuis le 24 janvier 2018 selon le site Transfermarkt. Par comparaison à sa valeur fictive de l’été 2017, un delta de 42 millions d’euros négatif.

D’autre part, la réputation du joueur s’est gravement dégradée, suite notamment à l’élimination du PSG en Ligue des Champions en en 2018 et en mars 2019 : le joueur (en tribunes pour la rencontre), avait publié sur le réseau social Instagram un message d’insultes à l’adresse des arbitres.

Bien que n’ayant fait l’objet d’aucune sanction par l’UEFA, ce comportement pouvait néanmoins conduire à une condamnation du joueur sur le fondement de l’article 11 du Règlement disciplinaire de l’UEFA en raison d’une violation des « principes de déontologie, de loyauté, d’intégrité et d’esprit sportif ».

Le principe en question interdisant de « se comporter de manière insultante » (b) ou de « discréditer le football et, plus particulièrement, l’UEFA par son comportement » (d).

Sujet à de récurrentes blessures, Neymar Jr n’a pu apporter au PSG ce pour quoi il était destiné, à savoir faire la différence sur le plan sportif en League des Champions lors des phases éliminatoires.

Enfin, rappelons que l’image du joueur a été régulièrement écornée. Considéré successivement comme « capricieux », « méprisant », ou manquant de « rigueur », il dû subir également les foudres médiatiques d’une supposée agression sexuelle. « L’affaire » semblant aujourd’hui être progressivement démentie par les faits.

Aujourd’hui, un rebond est espéré par le joueur au FC Barcelone, club qui l’a vu émerger sur la scène footbalistique européenne. Les incertitudes demeurent cependant sur les conditions d’un tel transfert, les finances du club espagnol ayant été récemment impactées par l’achat d’Antoine Griezmann (120 millions d’euros). Et par le choix de prêter le brésilien Philippe Coutinho au Bayern de Munich. Joueur ayant pourtant généré le plus d’intérêt de la part du PSG.

Dans le théâtre du mercato estival, les choses sont sans doutes déjà jouées.

(1) (Karaa, Bournazek et Karaquillo Quelques réflexion à propos des mécanismes contractuels relatifs à la mutation de joueurs professionnel ; revue juridique et économique du sport 2009, n° 91, p. 117)

(2) Août 2017 par Josep Maria BARTOMEU – Président du FC Barcelone

(3) « Cet après-midi, les représentants légaux de Neymar Jr. se sont rendus aux bureaux du club et ont effectué le paiement représentant l’indemnisation de rupture unilatérale et sans raison du contrat unissant les deux parties. »

(4) « Transfert de Neymar: qu’est-ce qu’une clause libératoire? », L’Express, 22/07/2017

(5) Jugement du Conseil de Prud’hommes d’Auxerre, 27 mai 2019

(6) Arrêt de la Cour de Cassation Chambre Sociale du 20 février 2019, FS-P+B, n° 17-18.912

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