Mediapro, statu quo et pots cassés

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AUTEURS

Simon RENAULT

Simon RENAULT

Avocat à la Cour et Mandataire Sportif

Morgan PALMA

Morgan PALMA

Consultant, Entrepreneur et Juriste

Ce mercredi 21 octobre, Mediapro s’exprimait par la voix de son président Jaume Roures au terme d’une conférence de presse particulièrement scrutée qui n’a pas permis de lever les doutes sur la situation du groupe.

Plusieurs points ont été abordés et voici deux éléments de réponse fournis par Mediapro qui nous semblent fondamentaux :

Ce mercredi 21 octobre, Mediapro s’exprimait par la voix de son président Jaume Roures au terme d’une conférence de presse particulièrement scrutée qui n’a pas permis de lever les doutes sur la situation du groupe.

Plusieurs points ont été abordés et voici deux éléments de réponse fournis par Mediapro qui nous semblent fondamentaux :

  1. Le contrat de diffusion conclu avec la LFP se poursuit,
  2. Mediapro allègue sa capacité économique à honorer le paiement

” On a trouvé un projet de conciliation pour plusieurs semaines.” (Jaume Roures)

Préalablement rappelons que Mediapro a demandé au Tribunal de commerce de Nanterre la désignation d’un mandataire ad hoc ayant pour mission de l’aider à négocier un accord avec la Ligue Professionnelle de Football (LFP) afin d’obtenir la réévaluation et le rééchelonnement de ses dettes pour la seule saison sportive 2020/2021 sans – a priori – affecter les saisons suivantes.

En réponse, et face au non-paiement de la tranche de 172M€ exigible en octobre 2020, la LFP a demandé au Tribunal de commerce de Nanterre l’autorisation d’effectuer des saisies conservatoires pour récupérer les revenus des abonnements de la chaine Téléfoot, propriété de Mediapro. Demande autorisée par la Juridiction.

Egalement face au non-versement de la tranche du mois d’octobre, la LFP a été placée dans l’obligation de souscrire un prêt bancaire d’un montant 112,7 M€, couvrant uniquement la tranche citée, après avoir dû intégrer un prêt garanti par l’État (PGE).

Revenons sur la procédure de conciliation actuellement en cours.

Cette procédure, préventive et confidentielle, permet au débiteur, sous l’autorité du mandataire désigné par la juridiction, de solliciter la modification de l’exécution du contrat. Sans pour autant commettre un manquement contractuel qui permettrait au cocontractant de dénoncer le contrat pour faute.

D’un point de vue calendaire cette fois, il faut souligner l’imprécision de Mediapro en estimant évasivement la durée de la procédure de conciliation à “plusieurs semaines“.

Elle va durer.

Légalement fixée à une durée maximale de quatre mois, renouvelable un mois, de manière à ce que la durée totale ne puisse excéder 5 mois (article L. 611-6 du Code de commerce). Cependant, l’état d’urgence sanitaire a pour effet une prolongation de trois mois de la durée de la procédure après la cessation de l’état d’urgence sanitaire fixée au 16 février 2021.

En application de l’Ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020, la durée légale des procédures de conciliation est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire plus trois mois.

Soit pour l’heure, une date théorique fixée au 16 mai 2021 (à la lumière du Projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire prolongeant l’état d’urgence au 16 février 2021).

Dans les faits, l’introduction de cette procédure par Mediapro a déjà un impact économique significatif puisque la prochaine échéance de paiement prévue en décembre 2020 d’un montant de 152M​€ est déjà compromise : en cours de procédure, l’exigibilité de la créance est suspendue et tout versement conditionné à la capacité du débiteur d’honorer ses dettes.

Il est d’ores et déjà envisageable que la LFP doive souscrire un nouveau prêt.

Dans le cas où Mediapro et la LFP venaient à trouver un accord, celui-ci devrait être homologué par la Juridiction, uniquement si les conditions suivantes sont réunies :

  1. Le débiteur n’est pas en cessation des paiements ou l’accord conclu y met fin ;
  2. Les termes de l’accord sont de nature à assurer la pérennité de l’activité del’entreprise ;

3. L’accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non signataires.

Dès lors et en l’attente d’un tel accord, le football français se trouve dans une situation économique fragile, l’obligeant à un endettement constant pour palier l’éventuelle insolvabilité de son cocontractant lequel oeuvre, sous la protection de la procédure de conciliation, à une renégociation du contrat de diffusion.

Mediapro bénéficiant également du maintien de l’état d’urgence, prolongé le 16 octobre dernier, protégeant les entreprises en faillite.

La situation actuelle pourrait s’aggraver en cas d’échec de la procédure de médiation qui aurait pour effet de remettre les parties dans la situation antérieure à l’ouverture de la procédure, ouvrant possiblement la voie à l’ouverture, cette fois, d’une procédure de redressement judiciaire de Mediapro contre laquelle la LFP ne pourra former aucun recours.

Aussi et même en cas d’accord amiable, celui-ci serait sans effet si Mediapro venait à se retrouver en état de cessation des paiements, et placé en redressement voire liquidation judiciaire.

En recourant à la procédure de conciliation, Mediapro s’est donc offert un salvateur répit qui lui a permis de diffuser une journée de Ligue 1 supplémentaire et semble escompter prolonger cette stratégie, laquelle lui a également permis de contourner l’application d’une clause insérée dans le contrat de diffusion qui permettait à la LFP, dès le premier défaut de paiement, de se tourner vers d’autre diffuseur, notamment Canal+ et BeIn Sports.

Le fond du problème est économique : le business model choisi par Mediapro depuis le départ semble reposer sur la possibilité de revendre de manière ponctuelle certaines affiches à d’autres diffuseurs afin d’obtenir tout au long de la saison des compléments de trésorerie permettant d’honorer les échéances de son contrat de diffusion avec la LFP. Or, les choses ne se sont pas passées comme prévu et le fait accompli tourne à la prise en otage. De nombreux observateurs avaient identifié les disponibilités financières fragiles de Mediapro. Or, cette faiblesse conduit actuellement à la mise en péril globale de tous les clubs de Ligue 1 dont les finances reposent à plus de 80% sur les droits TV.

Pour sauvegarder l’intégrité économique des clubs, qui assumera à terme les colossaux frais financiers engendrés par les défauts de paiement de Mediapro ?

“Ce projet était pour 4 ans, il n’était pas rentable dès la première saison, on le savait. (…) Nous maintenons le projet”. (Jaume Roures)

En 2019, Mediapro a investi le marché du football français avec ambition, visant à terme un nombre de 3,5 millions d’abonnés de sa chaine Téléfoot, créée pour l’évènement en partenariat avec le groupe TF1, sur la base d’un nombre d’abonnés élevé atteint après six ans d’existence par la chaine BeIn Sports.

Actuellement, le nombre précis d’abonnés de Mediapro n’a pas été communiqué par le diffuseur. Estimé par la presse française aux alentours de 300 000 abonnés, il a été démenti et un chiffre de “600 000 abonnés” a été annoncé lors de la conférence de presse, ce qui demeure éloigné du nombre visé de 1,5 million d’abonnés dès la première année du contrat de diffusion.

Si Mediapro argue que la rentabilité de son projet économique est tablée non pas sur un an sur mais quatre ans (durée du contrat de diffusion), sa communication maladroite constitue une très forte insécurité pour les futurs abonnés de Téléfoot la chaine, possiblement récalcitrants à souscrire un abonnement mensuel de 29,90€ pour une chaine en difficulté, ne diffusant que 80% des matchs d’une ligue exsangue et à huis-clos.

Le football français demeure en péril.

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