Le prêt de sportif professionnel : (r)évolution en cours.

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AUTEURS

Simon RENAULT

Simon RENAULT

Avocat à la Cour et Mandataire Sportif

Morgan PALMA

Morgan PALMA

Consultant, Entrepreneur et Juriste

Depuis le mois septembre 2018 la FIFA planche sur l’actualité des transferts. Un ensemble de mesures ont donc été adoptées en octobre 2019 par la Commission des Acteurs du Football de la FIFA.

Certaines mesures de nature institutionnelles, comme la création d’une chambre de compensation chargée de collecter et de reverser aux clubs formateurs les indemnités de formation prélevées sur chaque transfert, d’autres bien plus profondes.

En premier lieu, la mise en place d’une nouvelle réglementation de la pratique du prêt de joueur entre clubs professionnels.

La progression du nombre de prêts est fulgurante. Passant de 28 en 2009 à 101 au 29 août 2019 selon le recensement opéré par le Financial Times et relayé par Le Monde (1). La FIFA ne pouvait laisser une pratique devenir aussi commune sans en tracer les conditions et limites.

Guidée par une recherche permanente d’équité sportive, la FIFA affirme clairement son intention de combattre ce qu’elle considère comme un détournement de l’esprit du

mécanisme du prêt, originellement autorisé pour permettre la formation progressive de jeunes joueurs prometteurs.

Plus que remarqué dans le cadre du transfert de Kylian Mbappé au PSG, le mécanisme du prêt a pris une ampleur inégalée durant cet été 2019 pour s’attacher les services de joueurs de premier plan.

Philippe Coutinho et Ivan Perisic au FC Bayern Munich, Alexis Sanchez à l’Inter FC, Dani Ceballos à Arsenal, Henrikh Mkhitaryan à l’AS Rome, Giovani Lo Celso à Tottenham, Alphonse Aréola au Real Madrid et notablement Mauri Icardi au Paris Saint Germain ont été prêtés malgré, pour certains, un statut de top player.

Liste à laquelle aurait pu s’ajouter Neymar Jr, objet d’une proposition de prêt par le FC Barcelone dans les derniers jours du mercato estival.

Le recours au prêt révèle les enjeux des clubs dans le nouveau monde du football professionnel. Un monde dominé par le Fair-Play financier et la concurrence toujours plus intense des clubs dans le recrutement des stars de demain.

Le prêt de jeunes joueurs : une logique de formation détournée

En octobre 2018, le compte rendu de la Commission des Acteurs du Football de la FIFA annonçait « l’introduction d’une réglementation sur les prêts de joueurs à des fins de développement des jeunes joueurs plutôt qu’à des fins d’exploitation commerciale. Le nombre de prêts par saison et entre chaque club sera limité et les transferts- relais ainsi que les sous-prêts seront interdits » (2).

Les intentions de la FIFA sont donc claires.

La nature du prêt

Le prêt de joueur, ou ‘’mutation temporaire‘’ est une « opération consistant pour un club, à mettre, de manière provisoire, l’un de ses joueurs à la disposition d’un autre club » (3).

Cette opération, acceptée par le joueur, prévoit qu’il sera placé sous l’autorité et le contrôle de son nouveau club. Impliquant la suspension du lien de subordination entre lui et le club prêteur (4).

Le salaire du joueur pourra être assumé en totalité par le club emprunteur ou partagé avec le club prêteur. Par sécurité le joueur bénéficiera de la garantie que le montant de son salaire ne pourra être révisé à la baisse lorsqu’il réintègrera son club initial.

Précisons qu’au terme du contrat avec le club emprunteur, le joueur réintègrera automatiquement son club initial et reprendra l’exécution de son contrat de travail suspendu.

Le prêt n’implique donc pas la rupture du contrat de travail initial.

La loi française encadre-t-elle le prêt ?

Le Code du travail assimile la mutation temporaire à un « prêt de main d’œuvre », pratique par principe prohibée selon l’article L. 8241-1 du Code du travail qui interdit « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main- d’oeuvre ».

Le prêt à titre onéreux de sportifs serait donc interdit…

Toutefois l’alinéa 2° de l’article précité vient créer une exception à cette interdiction pour les opérations réalisées dans le cadre « Des dispositions de l’article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ».

Par la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale, le législateur est venu créer un régime dérogatoire au droit du travail en autorisant la mutation temporaire dans deux cas distincts :

  1. Pour le joueur mis à disposition de la fédération sportive délégataire intéressée en qualité de membre d’une équipe de France,
  2. Pour le sportif ou l’entraîneur professionnel salarié d’une association sportive ou d’une société sportive.

La lecture de l’article L. 222-3 du Code du sport nous apparaît riche de sens dès lors que dans l’esprit de la loi, Ie prêt est d’abord entendu au bénéfice de l’équipe de France qui
« participe au rayonnement de la Nation », avant d’être envisagé au profit d’une association sportive ou d’une société sportive.

Ainsi, la loi du 27 novembre 2015 autorise le prêt de main d’oeuvre à la condition qu’il concerne exclusivement les sportifs professionnels.

En application de cette loi, l’article 266 du règlement de la Ligue de Football Professionnel (LFP) autorise pour une saison « les mutations temporaires de joueurs professionnels, stagiaires ou élites » à condition de respecter une limite : un club ne peut accueillir qu’un maximum de cinq joueurs prêtés et muter à titre temporaire que sept de ses joueurs licenciés.

L’encadrement du recours au prêt participe à une meilleure équité sportive, actuellement bousculée.

Détournements

Pour la saison 2017/2018, la plupart des plus grands clubs européens ont largement recouru au mécanisme du prêt : la Juventus Turin (41 joueurs prêtés), Chelsea FC (22 joueurs prêtés), Manchester City (18 joueurs prêtés), et l’AS Monaco (11 joueurs prêtés, record de Ligue 1). La tendance s’est évidemment confirmée durant la saison 2018/2019.

Générant un véritable « effet cheptel » au sein des effectifs, les clubs ne peuvent masquer leurs intentions. Initialement le prêt était voué à la formation des jeunes joueurs, sorte de
« période d’essai » utile à l’apprentissage du métier de footballer professionnel. Désormais il permet l’instrumentalisation de la progression des jeunes au service de la rentabilité. Miser sur cette progression n’est plus l’apanage des centres de formations traditionnels.

Gianni Infantino, Président de la FIFA oeuvre ainsi à un plafonnement du nombre de joueurs prêtés dans les effectifs. Notamment par la mise en oeuvre d’une squad limit, similaire à celle applicable en France qui s’établierait autour de 6 à 8 joueurs prêtés par club et par an.

Le prêt de stars : nouvelle logique économique.

Outre le recours au prêt pour les jeunes joueurs en formation, le mercato 2019 s’est distingué par le prêt de joueurs accomplis.

Ce constat s’explique par le contexte inflationniste touchant le marché des transferts et l’augmentation notable des montants des indemnités de transfert.

Un mécanisme souple

À la différence du transfert qui est une mutation définitive, le prêt demeure une mutation temporaire, surtout, c’est un outil juridique offrant un panel intéressant de combinaisons d’obligations.

En effet, dès sa conclusion, les parties peuvent y insérer une condition suspensive, c’est à dire une option d’achat au bénéfice du club emprunteur lui permettant d’acquérir définitivement le joueur si celui-ci a satisfait aux objectifs.

Une variante existe, celle de l’option d’achat obligatoire.

Cette technique a été employée par le Paris Saint Germain pour obtenir Kylian Mbappé en 2018 : le club emprunteur s’engage pour le futur à muter définitivement le joueur sous réserve de la réalisation de certaines conditions suspensives préalablement et conjointement définies.

Une fois que la ou les conditions sont accomplies, l’option d’achat est automatiquement activée et le joueur sera muté définitivement. C’est ici que réside l’obligation.

Ces conditions sont diverses et concernent entre autre une qualification en compétition européenne, le nombre de buts marqués en saison, le nombre de sélections en équipe nationale, l’obtention d’un trophée individuel, etc…

Dans le cas de Mauro Icardi, l’opération a consisté en un prêt d’une saison conclu à titre gratuit avec une option d’achat fixée à 70 millions d’euros.

Ce prêt est donc consenti à titre gratuit dans ce qui s’apparente être une opération particulièrement opportune. Le seul risque assumé par la direction du club parisien se limitant à la prise en charge du paiement du salaire du joueur, ce qui demeure, au vue de la masse salariale du club sous contrôle Qatari, un risque marginal.

Cette opération, demeurant à l’heure actuelle un véritable win/win pour les deux parties.

Plus largement, la réalité d’un prêt de Mauro Icardi ou d’une proposition de prêt pour Neymar Jr reflète la nouvelle donne du marché des transferts, devenu plus direct et moins ankylosé par la pesanteur du mécanisme contractuel du transfert.

Un mécanisme optimal

L’utilité du prêt s’explique également par la possibilité de lui conférer un caractère onéreux, comme cela fut employé dans l’opération visant Giovani Lo Celso.

Pour rappel, en 2018 l’ancien joueur du club parisien a été prêté au Betis Séville pour une saison avec une option d’achat fixée à 22 millions d’euros. Après une saison réussie en Espagne, le club andalou à décidé d’activer l’option et acquérir définitivement le joueur pour ce montant.

Cet été, nouveau changement de club, le club anglais de Tottenham a engagé le joueur en proposant au Betis Séville un prêt payant de 16 millions d’euros doté d’une option d’achat d’un montant de 44 millions d’euros activable dans un an, soit un montant total de 60 millions d’euros.

Décryptage.

De prime abord, l’opération effectuée par Tottenham permet de ventiler le versement des sommes qui seront employées à la signature définitive d’un joueur jeune à fort potentiel : si l’option d’achat est levée par le club emprunteur, le montant du prêt payé par ce club pour la saison 2019/2020 pourra s’analyser comme le règlement de la première échéance de l’indemnité du transfert définitif qui se réalisera lors du mercato estival 2020.

Cette technique permettant d’éviter de mobiliser d’emblée les liquidités nécessaires à la réalisation d’un transfert définitif.

Plus intéressant encore, c’est le possible contournement de la clause de pourcentage à la revente.

Pour rappel, cette clause prévoit au bénéfice du club vendeur, l’octroi d’un pourcentage du montant du transfert lorsque le joueur sera revendu à un nouveau club.

Insérée par le Paris Saint Germain dans la transaction conclue avec le Betis Séville, cette clause prévoit le bénéfice de 20% au club francilien du montant d’un futur transfert du joueur.

Pourtant, Lo Celso a fait l’objet de deux opérations distinctes pour des coûts distincts, un prêt et (vraisemblablement) un transfert.

Ainsi, en déduisant du montant du transfert la somme 16 millions d’euros correspondant au prêt annuel, la clause de 20% s’impute uniquement sur le solde de l’option d’achat de 44 millions d’euros et non sur le montant total de 60 millions d’euros mobilisé pour acquérir le joueur.

En agissant de la sorte, le Betis Séville pourrait, selon cette hypothèse court-circuiter la clause insérée par le Paris Saint Germain et justifier devoir ne verser que 20% des 44 millions versés à la levée de l’option et non 20% des 60 millions d’euros mobilisés pour acquérir définitivement le joueur.

Pertinent.

La recours récurrent au prêt peut-il annualiser la carrière des joueurs ?

Il vient d’être démontré que le recours au prêt devient de plus en plus fréquent du fait des largesses offertes par son mécanisme.

Cette tendance est porteuse d’une incidence notable à savoir l’accélération des mouvements de joueurs entre clubs au point d’annualiser leurs performances et conséquemment, leurs carrières.

Il y a une logique à cela, l’augmentation de la durée des carrières des joueurs de haut niveau couplée au recul de leur déclin sportif engendre mécaniquement une accélération du temps sportif auquel doit s’adapter l’outil juridique.

Dorénavant, les joueurs refusent le statut de remplaçant et sollicitent, dans une telle situation à faire l’objet d’un prêt ou d’un transfert vers un club susceptible de leur offrir un meilleur temps de jeu.

La nouvelle donne : une mobilité accrue des joueurs et un degré d’exigence accru pour les clubs dans l’optique de conclure un engagement à long terme.

A cet égard, le recours au mécanisme du prêt pratiqué par les clubs professionnels peut s’apparenter à une « période d’essai » à moindre coût (5).

Le prêt, nouvelle période d’essai pour les transferts d’envergure ?

Parmi les utilités évidentes du prêt, celle de permettre « l’essai » du joueur sur une courte période, associé à une option d’achat en cas de pleine satisfaction des ses performances.

Selon la définition donnée par le Code du travail (article L. 1221-20), la période d’essai permet « à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail,

notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».

L’application détournée du prêt pour recruter pendant une période limitée des joueurs de premier plan reviendrait pour le club emprunteur à tester à moindre coût la performance d’un sportif avant de le muter définitivement sans recourir à une clause d’essai.

Le parallèle entre ces deux mécanismes peut d’ailleurs être poursuivi.

Tout comme le prêt, la période d’essai correspond à une prestation de travail rémunérée et tout comme le prêt, la période d’essai ne peut faire l’objet que d’un seul renouvellement.

Néanmoins, l’analogie avec le prêt ayant ses limites, la période d’essai ne saurait être conclue à des fins lucratives comme peut l’être le prêt à titre onéreux, raison pour laquelle nous privilégions le rapprochement du prêt à un quasi transfert plutôt qu’à une période d’essai.

Le prêt initialement utilisé à deux égards, la formation des jeunes joueurs et la gestion de joueurs en perte de vitesse, connaît aujourd’hui un renouveau inattendu.

Permettant de combler les lacunes sportives et les errements du sportif dans le déroulé de carrière, il devient une opportunité contractuelle au service clubs désireux de gérer de manière dynamique leur effectif : le renforcer à moindre coût, relancer un joueur sans subir les conséquences de sa perte de valeur à la vente, mais aussi s’attacher plus rarement les services des meilleurs éléments.

Sa pratique pourrait à terme précariser la situation contractuelle de joueurs amenés régulièrement à changer de club et de situation sportive. Leurs conseillers auront d’autant plus fort à faire pour mettre au service de la carrière des joueurs ces nouvelles mobilités.

À noter également le renouveau à terme des commissions sur salaire que cette pratique engendre pour les agents de joueurs, privés de commissions en l’absence d’une opération de transfert. La commission d’agent étant exclusivement limitée aux indemnités de transferts, celle-ci n’est pas automatique sur une opération de prêt (6).

Co-auteurs : Me Simon RENAULT (Avocat) x Morgan PALMA (Juriste).

(1) https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/09/03/football-sur-le- marche-des-transferts-de-la-creativite-a- revendre_5505692_3242.html

(2) https://fr.fifa.com/about-fifa/who-we-are/news/les-parties- prenantes-du-football-appuient-d-importantes-reformes-du-systeme- des

(3) F. Buy, J-M. Marmayou, D. Porocchia, F. Rizzo, Droit du Sport, 5ème édition, LGDJ, 2018

(4) TASS Lyon, 21 déc. 2005, Mme X… et ses enfants c./CPAM de Lyon.

(5) Période d’essai d’ailleurs non prévue par la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale

(6) Arrêt Cour d’Appel de Rennes, 17 mai 2019, n°16/00879.

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