Le fiasco Mediapro

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AUTEURS

Simon RENAULT

Simon RENAULT

Avocat à la Cour et Mandataire Sportif

Morgan PALMA

Morgan PALMA

Consultant, Entrepreneur et Juriste

L’interview dans L’Equipe, de Jaume Roure, président de Mediapro a fait l’effet d’une bombe dans le milieu du football professionnel : le diffuseur sino-espagnol, propriétaire des droits de Ligue 1 Uber Eats et de la Ligue 2 BKT pour la période 2020-2024, a sollicité auprès de la Ligue de Football Professionnel (LFP), outre un délai de paiement, la renégociation du montant des droits TV versé aux clubs du fait de l’épidémie de COVID-19.

Demande refusée par la Ligue Professionnelle.

Le groupe, qui diffuse le championnat de France pour un coût de 780 millions d’euros la saison, n’a pas honoré une échéance de 172 millions d’euros fixée en octobre 2020 (135 millions HT pour la Ligue 1 et environ 8 millions HT pour la Ligue 2) et souhaite renégocier à la baisse le montant des droits TV qu’il verse aux clubs de L1 et L2, où la prochaine échéance de paiement est fixée au 17 octobre 2020.

Sa demande est fondée par l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le championnat français, dont les pertes du chiffre d’affaire dues à l’arrêt du championnat a été évalué à 605 millions d’euros par le cabinet EY selon étude commandée par le syndicat de clubs Première Ligue ; à cette somme s’ajoute l’assèchement des recettes de billetterie provoqué par la jauge maximale de 5.000 – voire 1.000 spectateurs dans les zones les plus touchées.

Une Ligue 1 économiquement exsangue après 7 journées

La situation est particulièrement préoccupante à l’égard de clubs professionnels déjà déficitaires depuis la pandémie de Covid-19, où, faut-il le rappeler, la Ligue 1 a été le seul championnat européen à ne pas reprendre sa saison sportive.

Les clubs professionnels ont dès lors perdu des revenus outre un endettement postérieur par la souscription de prêts garantis par l’Etat (PGE) d’un montant de 224,5 millions d’euros, compensant le manque à gagner des droits TV.

Ces droits constituent une manne financière pour les clubs, correspondant en moyenne à 36% des revenus pour la Ligue 1 lors de l’année 2018-2019 selon la DNCG, gendarme financier du football français.

Dès lors, l’information communiquée par Mediapro est particulièrement tardive pour les clubs professionnels, qui ont effectué leurs mercato sur un budget de droits TV déjà obsolète. A titre d’exemple, l’Olympique Lyonnais aurait-il gardé Houssem Aouar avec cette information ?

La Ligue 1 française, championnat par définition formateur et exportateur de talents subit d’autant plus la situation actuelle outre la baisse des ventes de ses meilleurs joueurs en raison de la crise économique frappant les clubs acheteurs.

Dans les faits, le constat est simple, si Mediapro ne paie pas, la Ligue 1 fait faillite.

Que prévoit le contrat passé entre Mediapro et la LFP ?

De source interne, le contrat de diffusion ne prévoit pas la présence d’une garantie de paiement. Ce qui constitue une aberration sans nom à ce niveau par une insécurité contractuelle manifeste.

Lorsqu’il recourait à une garantie, Mediapro souscrivait auprès de Joye Media, son actionnaire principal à 53,5%, (intitulé Orient Hontai Capital), fond d’investissement chinois qui a fait l’objet d’une dégradation par l’agence Moody’s, passant de B1 à B3 puis à «B3 pd», pour «probabilité de défaut».

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en 2018, la Serie A italienne avait refusé de vendre ses droits de diffusion à Mediapro, en l’absence d’une garantie de paiement.

Il est éminemment regrettable que cette information n’ait pas été retenue par Monsieur Didier Quillot, DG de la LFP qui avait accepté l’enchère formulée par Mediapro pour la Ligue 1, malgré le doute réel de la solvabilité du groupe basé sur l’exemple italien.

Quel fondement juridique pour justifier la position Mediapro ?

A la lumière des éléments en notre possession, le recours au fondement juridique de la force majeure déployé par Mediapro est inopérant.

Si l’épidémie de Covid-19 peut juridiquement revêtir à l’égard des parties contractantes, les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, la communication tardive choisie par le diffuseur semble oeuvrer vers une renégociation contractuelle et non une résolution du contrat.

Permettons nous de préciser que la force majeure oeuvre dans le sens d’une impossibilité, temporaire ou permanente d’exécuter le contrat, ce qui en l’espèce, n’est pas le cas pour Mediapro, si ce n’est une exécution à des conditions économiques résolument moins attractives.

Demeure l’emploi de la théorie de l’imprévision afin de renégocier le prix du contrat conclu avec la LFP. Cette théorie suppose un changement de circonstances imprévisible au moment de la formation du contrat qui rend son exécution excessivement onéreuse.

En l’espèce, il appartiendrait de vérifier si l’épidémie de Covid-19, au demeurant imprévisible lors de la conclusion du contrat, rend effectivement cette exécution excessivement onéreuse : le montant particulièrement élevé du contrat de diffusion dès sa conclusion, s’il constitue une erreur de rentabilité, ne justifie pas le recours à cette théorie.

Dit autrement, Mediapro, ne peut faire payer à la Ligue sa prise de risque économique et la réalisation d’un nombre insuffisant d’abonnés pour sa chaine Téléfoot.

Une certitude néanmoins, l’hypothétique renégociation de contrat n’exonère pas le cocontractant à l’initiative de cette demande d’en poursuivre l’exécution, cela signifie que Mediapro doit oeuvrer à trouver tout moyen de financement pour combler sa défaillance.

Quelle solution juridique ?

Rappelons que les droits de diffusion acquis par Mediapro l’ont été par le biais d’un appel d’offres très encadré. Dans les faits et si la LFP venait à revoir à la baisse les montants du contrat, les candidats évincés de la consultation auront tout droit de contester la renégociation contractuelle devant les tribunaux compétents car contrevenant à l’appel d’offre auquel ils avaient postulés.

En ce sens, il existerait une impasse. 

Néanmoins, et malgré la situation juridique ténue, à nos yeux elle devrait tendre vers une renégociation contractuelle qui devrait a priori, inclure les candidats évincés, Canal+, diffuseur historique de la Ligue 1, BeIN et RMC. 

De toute évidence, il est de l’intérêt de ces diffuseurs cités de se tenir prêt à palier une éventuelle défection de Mediapro, pour ni plus ni moins sauver la Ligue 1.

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