Billet d’humeur : vers une suspension du porte-parolat gouvernemental en période de crise ?

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AUTEURS

Simon RENAULT

Simon RENAULT

Avocat à la Cour et Mandataire Sportif

Morgan PALMA

Morgan PALMA

Consultant, Entrepreneur et Juriste

La France vit une période sans précédent dans son histoire récente, jamais un gouvernement en temps de paix n’avait imposé à sa population de se confiner chez elle pour lutter contre la propagation d’une épidémie.

La grippe espagnole, qui a frappé l’Europe au 1918, faisant plus 50 millions de morts dont 150 000 dans France, avait seulement nécessité la fermeture des établissement publics, à l’exclusion d’un véritable confinement de la population.

L’actuelle mesure sanitaire annoncée par allocation présidentielle du 16 mars 2020, entrée en vigueur le 17 mars 2020, est un fait historique majeur et novateur dans l’histoire de notre République.

Fixée à minima jusqu’au 15 avril 2020 par le Gouvernement, une durée plus longue de 6 semaines minimum a été proposée selon avis du Comité scientifique.

A ce jour, nous nous situons au sein d’une séquence où plus d’une tiers de le population mondiale est confinée pour lutter contre la propagation du virus.

Ce temps long, offert par le confinement, permet de comparer distinctement la parole présidentielle et la parole gouvernementale au cours de l’actuelle séquence sanitaire.

Leur comparaison permet de remarquer le ton martial de la première et la véritable cacophonie assourdissante de la dernière, incarnée par le porte-parole du Gouvernement.

En effet, selon un sondage Odoxa pour Le Figaro, seules 30% des personnes interrogées estiment que le gouvernement est “clair” face à l’épidémie de coronavirus.

Ce constat interroge : l’état d’urgence sanitaire ne justifie t’il pas la suspension du rôle du porte-parole du Gouvernement ?

Existe t’il un geste barrière contre les erreurs de communication ?

Une parole présidentielle martiale

Nous sommes en guerre“. La formule belliqueuse, employée à 6 reprises par le président de la République au cours de l’allocution du 16 mars 2020, se veut la marque de la gravité de l’actuelle situation sanitaire.

Se drapant dans les habits confectionnés par l’article 15 de la Constitution du 04 octobre 1958 faisant de lui le Chef des Armées, le chef de l’Etat a conféré un ton grave et martial à sa déclaration, laquelle faisait suite à la réunion d’un Conseil de défense à l’Elysée.

Depuis lors, la France est placée en état d’urgence sanitaire, selon la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 en date du 23 mars, publiée au Journal Officiel le 24 mars 2020.

Cette loi inscrit l’état d’urgence sanitaire dans le Code de santé publique et introduit notamment l’article L. 3131-12 qui dispose L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle- Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population“.

L’état d’urgence sanitaire offre une base légale aux mesures de confinement mises en place en France et autorise le gouvernement à prendre, par ordonnances, une série de mesures pour endiguer l’épidémie du Covid-19.

Sur le volet communication de crise, le président de la République a pris la parole a deux reprises depuis l’allocution du 16 mars 2020 : le 25 mars à l’hôpital de Mulhouse et le 31 mars à l’usine Kolmi-Hopen d’Angers, fabriquant de masques.

Dans les deux derniers cas, le chef de l’Etat a conclu sa visite par un discours en lien avec celle-ci : à Mulhouse pour exprimer le soutien de la Nation et le vif remerciement à l’adresse du personnel soignant de l’hôpital, à Amiens l’annonce de la hausse de la production en France de masques sanitaires.

Dans cette chronologie, la fréquence de prise de parole présidentielle (3 fois en 16 jours) a pour objectif de satisfaire le besoin d’information des français sur des sujets d’actualité particulièrement sensibles et immédiatement préoccupants.

Une telle fréquence, elle même dictée par un souci de transparence et de productivité, n’a besoin que de relais, pas de commentaires.

Une parole gouvernementale incohérente

A l’inverse de la parole présidentielle claire, Madame Sibeth Ndiaye, porte-parole du Gouvernement, illustre une véritable cacophonie par des erreurs répétées et regrettables de communication en début de crise sanitaire.

  • 1. Le 05 mars 2020, Madame Ndiaye affirme que le stade 3 n’impliquera pas la fermeture des écoles : «Une fois que l’épidémie est installée sur tout le territoire national, ça ne sert plus à rien d’empêcher les enfants d’aller à l’école ou autres […] Mais dans un stade 3, on ne va pas arrêter la France, notre pays est solide, la vie ne s’arrêtera pas
  • 2. Le 20 mars 2020 sur la chaine BFM TV, Madame Ndiaye déclare : «Les masques ne sont pas nécessaires pour tout le monde, et vous savez quoi ? Moi je ne sais pas utiliser un masque, […] parce que l’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis, sinon on se gratte le nez sous le masque et on a du virus sur les mains […] ça peut même être contre-productif.»
  • 3. Le 25 mars 2020, Madame Ndiaye déclare “nous n’entendons pas demander aujourd’hui à un enseignant qui ne travailler pas, de traverser toute la France pour aller récolter des fraises”, provoquant l’ire des enseignants et qui amènera à un mea culpa du porte-parole du Gouvernement.

Un porte-parole devenu dispensable

Il ressort de cette liste que l’utilité du porte-parole du Gouvernement est clairement remise en question car devenue totalement dispensable, constat gravement amplifié au coeur de la situation de crise actuellement traversée.

À ce stade et eu égard à la gravité du contexte politique, il y a tout lieu de déplorer le caractère contreproductif de l’office du porte-parolat gouvernemental en présence d’une parole présidentielle claire, martiale, diffuse et si fréquente.

L’effet doublon ainsi généré avec la parole présidentielle entache dès lors toute parole publique pourtant particulièrement scrutée par des citoyens physiquement captifs des décisions où toute erreur de communication devient l’origine de polémiques stériles amplifiées, confinant au ridicule.

Plus fort encore, alors que son office devrait exiger une stricte neutralité, l’actuelle porte- parole parvient à cliver par son expression verbale et son attitude désinvolte.

D’autre part, les prises de parole quotidiennes de Monsieur Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé et de Monsieur le Ministre des Solidarité et de la Santé, Olivier Véran, sur le domaine strictement médical, élargissent le panorama de l’information nécessaire en temps de crise sanitaire.

Vers une réappropriation forte de la parole politique

Partant, il apparait nécessaire de réserver l’évocation des sujets relatifs à la santé publique au Ministre Olivier Véran, seul intervenant légitime et compétent pour s’exprimer, obligeant les autres membres de l’équipe ministérielle à oeuvrer et communiquer dans son strict champ de compétence.

Plus largement, la conséquence première de l’état d’urgence sanitaire en matière de communication devrait être de hiérarchiser la parole publique et n’offrir voix au chapitre qu’aux ministres compétents, lesquels devraient être les seuls vecteurs de communication de leur office excluant toute parole extérieure, car potentiellement parasite.

Ce pourquoi, l’état d’urgence doit être entendu avec la gravité inhérente à son prononcé, et la suspension de l’office du porte-parolat gouvernemental pendant la période de crise apparait nécessaire.

Cette mesure offrirait une réelle clarté du propos politique et permettrait d’éviter la monopolisation de l’espace médiatique de façon stérile.

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